De
catthaLe 31/03/21 à 19:40:13
« - Alors madame Biron ? C’est une occase, hein ?
- Je ne sais pas, j’hésite, répéta la vieille. C’est quand même grand 230 m² pour une dame de 83 ans, qui vit toute seule.
- Et votre chihuahua, Hector…
- Médor, me reprit-elle.
- Ouais, Médor. Il a besoin d’espace pour gambader. Vous n’allez tout de même pas rester dans votre studio pourrav… heu… étroit. Puis votre fric, faut le crach… enfin faut profiter de la vie madame Biron.
- Oui, mais une maison de cette taille pour moi… Et puis, il y a quand même ces trous dans la toiture.
- Vous pensez, c’est pour l’aération.
- Encore c’est rien par rapport aux fissures sur la façade…
- Un coup de plâtre et c’est un sou neuf.
- Puis, il n’y a pas de chauffage, c’est quand même un monde ça !
- Alors là, je dis attention : ce n’est pas bon pour vos varices le chauffage. Et un petit chauffage d’appoint électrique suffit largement. A votre âge, on ne sent plus grand-chose, non ? »
Il fallait bien que je me rende à l’évidence, c’était la cata. Je n’arrivais même pas à vendre quoique ce soit à cette vieille emmerdeuse blindée de fric. Depuis quand les pigeons réfléchissent ? Non, c’était vraiment la cata. Pas une seule vente sur les 25 derniers jours. Je voyais bien que le directeur de mon agence immobilière me lançait des regards inquisiteurs. « Toi, tu ne vends rien, tu ne vaux pas un clou », « je vais finir par te foutre à la porte à ce rythme ». Voilà ce que traduisaient ces regards qui me faisaient baisser la tête comme un chien battu. Et dire que ce vermiceau me mangeait dans la main lorsque j’étais politicien. Pourquoi ai-je tout foutu en l’air ?
C’est comme avec ma femme, j’ai tout foutu en l’air. Des reproches, des cris, des pleurs, elle m’a tout fait. Bon, faut dire que coucher avec la secrétaire du maire-adjoint dans le lit conjugal, ce n’était peut être pas le meilleur plan que j’ai échafaudé. Mais ce n’était pas comme ça que cela devait se passer, c’était chez elle qu’on devait coucher, pas chez nous. Eh ben, même cette explication a foutu en rogne ma femme, elle m’a mis une paire de baffe en me collant son genou dans une partie de mon corps que la secrétaire du maire-adjoint n’avait pas mal traitée, elle. C’est vraiment la cata. Puis quelle idée de payer des cours de self-défense à ma femme ? Oui, ça me laissait plus de temps pour aller emprunter du sel à la voisine, mais pendant ce temps, ma femme apprenait la plus simple manière de me rendre stérile.
Après la politique, j’avais voulu faire le tour du pays… avec ma vieille caisse pourrie (oui, je n’avais pas pris assez de temps pour détourn… économiser assez d’argent pour en acheter une neuve). Résultat : j’ai passé autant de temps le nez dans le moteur qu’à découvrir nos régions. Puis, sans argent, je me suis lancé dans la restauration, mais les services d’hygiène n’ont pas aimé que je laisse vagabonder des petits rats dans l’établissement. Vous pensez que la SPA m’aurait soutenu. Même pas ! Je suis alors devenu moniteur-école, mais mon patron a vite découvert que mon permis était un faux. Loin de me décourager, je suis alors devenu laveur de vitre. Mais j’ai vite compris, après quelques minutes, que mon vertige pourrait être une difficulté. J’ai bien proposé de laver uniquement les vitres des rez-de-chaussée… on m’a foutu à la porte. La catastrophe sur toute la ligne. La cata.
« - Alors madame Biron ? Attention, une affaire pareille, ça part vite. Faut pas la laisser passer. Il y a beaucoup de monde dessus. Bon, c’est bien que je vous apprécie que je vous la propose en premier…
- Vous êtes bien gentil, mais je crois…
- - Ne prenez pas une décision trop hâtive. Voyez le bon côté des choses. Regardez par exemple, ici, vous êtes juste à côté du cimetière. Le jour ou vous lâcherez la rampe, vous n’aurez pas une grande route à faire. C’est moins fatiguant. Puis, même pas besoin de corbillard. Plus écologique donc. Faut vivre avec son temps madame Biron.
- Oui, mais je me pose des ques… »
Je crois que c’est lorsque j’ai vu passer le facteur sur sa bicyclette que j’ai compris qu’il fallait garder le sourire en toute circonstance. C’est étrange pourtant parce que ce n’est pas ce que je parvins à appliquer :
« - Ben garde-le ton fric pouf*****, garde tes biftons, ton clébard qui pue, ton dentier, ta gueule enfarinée et ta morve au nez qui a failli me faire gerber sur ta choucroute ».
Et pendant que je lui jetais les papiers de la vente au visage et que je m’en allais, je réalisais que j’étais encore plus stupéfait que madame Biron l’était elle-même. J’avais besoin que ça sorte, un peu comme la morve de madame Biron. C’est naturel.
Engoncé dans mon costume étriqué, acheté aux puces, le souvenir de ma vie politique resurgissait aussi violemment que le trottoir que je percutais en partant (à moins que ce soit Médor qui faisait connaissance avec le caoutchouc de ma roue avant droite… c’est l’attitude hystérique de madame Biron que j’entrevoyais dans mon rétroviseur qui m’y fit songer… « les gens n’ont plus de savoir-vivre de nos jours » pensais-je). Je me dirigeais jusqu’au bar du coin, il fallait que je fasse le point.
En m’installant à une table près de l’entrée après avoir commandé une bonne bière, je m’enfonça dans ma chaise bien décidé à démissionner. De toute manière, mon licenciement n’était qu’une affaire de minutes maintenant. Il fallait absolument que je rebondisse. Comment ? C’est en écoutant ces trois hommes plus loin que je savais qu’il fallait que je renoue avec les parrains du Milieu. Oui, il n’y a bien que dans ce Milieu qu’on peut arnaq… s’enrichir en vol… honnêtement. J’allais faire mon retour dans la vie politique.